« Je pense que les peuples ont pris conscience du fait qu’ils avaient des intérêts communs et qu’il y avait des intérêts planétaires qui sont liés à l’existence de la terre, des intérêts que l’on pourrait appeler cosmologiques, dans la mesure où ils concernent le monde dans son ensemble ».
Pierre Bourdieu (1992)


jeudi 25 octobre 2012

Agone 49, Crise financière globale ou triomphe du capitalisme ?

Agone 49
Crise financière globale ou triomphe du capitalisme ?
Coédition avec la New Left Review
Coordination Philippe Olivera
Agone
2012


Présentation de l'éditeur
Fondée en 1960, la New Left Review s’est rapidement imposée comme un lieu central de la pensée critique. Contemporaine de l’émergence des « nouvelles gauches » dont l’espace avait été ouvert par la crise du mouvement communiste après les événements de 1956, elle a joué un rôle majeur dans la réflexion théorique et politique avant comme après Mai 68, puis dans le contexte de la contre-révolution libérale qui a suivi. Quand tant d’autres publications ont disparu ou profondément révisé leur projet politique d’origine pour s’adapter aux retournements historiques, la New Left Review a maintenu le cap d’une critique radicale de l’ordre dominant sans déroger aux exigences de ses ambitions intellectuelles.
Avec ce numéro, la revue Agone inaugure une série de parutions annuelles composées d’une sélection d’articles entièrement tirée de la New Left Review, sur un thème choisi par les deux rédactions.
Les deux éditoriaux par lesquels s’ouvre cette première livraison rappellent l’origine et le parcours de la New Left Review puis donnent le cadre de son projet actuel. Reprenant pour quelque temps la direction qu’il avait assurée pendant plus de vingt ans, Perry Anderson propose en janvier 2000 un bilan sans concession sur la situation de la gauche ; et les grandes lignes des « Renouvellements » nécessaires à la poursuite d’un demi-siècle d’héritage. Dix ans plus tard, Susan Watkins, qui lui a succédé, décrit les « Paysages instables » produits par le grand ébranlement économique ouvert par la crise de 2008. L’ensemble des autres contributions qui sont réunies autour du thème de la crise actuelle du capitalisme manifeste l’ampleur de vue et la diversité des approches indispensable pour comprendre le monde où nous vivons – prérequis à toute volonté de changement.
SOMMAIRE
Renouvellements, éditorial de Perry Anderson
Toute réflexion sur l’avenir de la NLR doit partir de sa differentia specifica. Qu’est-ce qui a fait sa singularité en tant que revue de gauche ? La façon la plus simple et la plus succincte de répondre à cette question est la suivante : aucune autre revue ne s’est efforcée de couvrir un terrain aussi vaste – s’étendant de la politique à l’économie, en passant par l’esthétique, la philosophie et la sociologie – avec une telle liberté quant à la longueur et au degré de minutie des contributions. Cet espace n’a jamais été exploré de manière homogène ou équilibrée, au point de décourager même les lecteurs les plus patients. Mais c’est ainsi que le caractère de la New Left Review s’est forgé. Il s’agit d’une revue politique basée à Londres, qui a tenté de traiter les sciences humaines et sociales et les arts et les mœurs dans le même esprit historique que la politique elle-même.
Paysages instables, éditorial de Susan Watkins
Les milliers de milliards de dollars injectés pour renflouer les institutions financières pèseront sur les économies intérieures pour les années à venir. Mais les interventions massives des États ont-elles signé la fin du modèle néo-libéral ? Au plan idéologique, les créations de richesse mirifiques de la haute finance ont été son principal instrument de légitimation. On a senti, et pas seulement à gauche, que le paradigme néo-libéral ne sortirait pas indemne de la crise, qui pouvait même porter un coup fatal à l’hégémonie américaine. L’humiliation des géants de Wall Street semblait indiquer que le monde se trouvait au seuil d’une nouvelle ère. Entre-temps, le système financier a été stabilisé sans qu’aucun de ses problèmes de fond n’ait été résolu. Malgré le déferlement d’analyses consacrées à la crise, sa portée historique reste obscure. À quoi la crise de septembre 2008 a-t-elle mis fin ; à quoi n’a-t-elle pas mis fin ?
L’économie mondiale et la crise américaine, Robert Brenner
La crise qui affecte actuellement l’économie mondiale est la plus dévastatrice depuis la Grande Dépression, et elle pourrait bien s’avérer tout aussi grave. Elle est en effet le symptôme à la fois d’immenses problèmes non résolus dans l’économie réelle, dissimulés pendant des décennies par la dette, et d’une crise financière d’une profondeur inédite pour la période d’après-guerre. C’est l’effet de renforcement mutuel du déclin de l’accumulation du capital et de la désintégration du secteur financier qui fait que ce glissement échappe totalement aux responsables politiques et qui rend son potentiel de catastrophe si manifeste.
Les analystes de la crise ont naturellement pris comme point de départ l’effondrement du secteur bancaire et des marchés boursiers. Mais à de rares exceptions près, tous ont aussi nié les problèmes profonds et chroniques de l’économie réelle.
La crise 2.0, Robin Blackburn
Nous allons revenir en détail sur certaines des « mesures de sauvetage » déjà mises en œuvre et faire un tour d’horizon des déboires de ce monde de crise 2.0, dans lequel gouvernements, ménages et acteurs de la finance s’efforcent tous de réduire leur niveau d’endettement. Les résultats de cette situation sont sans appel : stagnation, chômage, démantèlement de l’État-providence et arrivée de coalitions de technocrates sans mandat électoral. Des stratégies de résistance doivent être mises en œuvre pour traiter efficacement les causes sous-jacentes de la crise. Nous appelons de nos vœux une expansion de la demande globale rendue possible par la hausse des rémunérations dans les pays à bas salaires, des annulations de dettes dans les pays pauvres comme dans les plus riches, de nouveaux mécanismes de protection sociale et des structures financières mises au service de l’intérêt public.
Le mythe du filet de sécurité mondial, Jan Breman
En rendant compte de la récession économique, les médias se sont surtout penchés sur les effets de la crise sur les pays riches, sans beaucoup se soucier des nombreuses populations qui vivent dans ce qu’on avait coutume d’appeler le tiers-monde. Selon les analyses actuellement en vogue, le fléchissement de ces « économies émergentes » pourrait s’avérer moins grave que prévu. Pourtant, cette perspective, qui se contente d’analyser les répercussions de la crise sur les pays dans leur ensemble, masque l’hétérogénéité de son impact en fonction des classes sociales. En tenant compte de la distribution des revenus, on s’aperçoit que le ralentissement mondial touche de façon disproportionnée les secteurs les plus vulnérables : les immenses cohortes de travailleurs sous-payés, sous-éduqués et privés de ressources qui constituent les strates inférieures surpeuplées de l’économie mondiale.
Irlande : le tournant ?, Daniel Finn
S’il manquait encore aux deux États irlandais le trait distinctif de la politique européenne moderne – une division gauche-droite nettement liée à la classe des électeurs – ne pouvait-on en déduire que, pour une fois, l’Irlande avait une longueur d’avance, annonçant l’américanisation prochaine de la vie politique européenne ?
Depuis septembre 2008, la crise mondiale a noyé ces visions sous un déluge d’eau glacée. L’État du sud, en chute libre, perd des emplois à une vitesse vertigineuse et a été contraint d’accepter un « plan de renflouement » humiliant de l’UE et du Fonds Monétaire International. La récession a cruellement révélé les failles du modèle du « Tigre celtique ». S’il est trop tôt pour évaluer les effets à long-terme de la crise, il est d’ores et déjà évident que le parcours historique excentrique de l’Irlande est encore bien loin d’arriver à son terme.
Spéculations sur l’état stationnaire, Gopal Balakrishnan
Quelle est la signification historique de l’implosion du néolibéralisme, moins de vingt ans après l’effondrement de l’Union soviétique ? Une hypothèse troublante vient à l’esprit. On sait que l’URSS est parvenue au sommet de sa puissance dans les années 1970, juste avant de s’enfoncer dans une spirale de retranchement, de dérive et d’effondrement. Se pourrait-il, par une de ces bonnes vieilles ironies de l’histoire, qu’un revers de fortune comparable guette la superpuissance occidentale ? Après tout, on peut voir une forme d’unité des contraires dans l’opposition entre un capitalisme débridé et les économies industrielles planifiées de l’ancien COMECON.
La dépression qui s’annonce révélera peut-être que les statistiques économiques nationales de la période de l’économie des bulles étaient des fictions assez comparables à celles qui avaient cours dans le vieux système soviétique.
Les tortueux sentiers du capital, Giovanni Arrighi (entretien avec David Harvey)
David Harvey : On peut difficilement imaginer vérification plus spectaculaire de ce que tu prédis depuis très longtemps dans tes théories que l’actuelle crise du système financier mondial. Y a-t-il des aspects de la crise qui t’ont surpris ?
Giovanni Arrighi : Ma prédiction était très simple. Dans The Long Twentieth Century, je qualifiais de crise annonciatrice d’un régime d’accumulation le début de la financiarisation et je faisais remarquer qu’après un certain temps – en général environ un demi-siècle – la crise terminale suivait. L’hypothèse fondamentale est que toutes ces expansions financières ne pouvaient pas tenir parce qu’elles amenaient à la spéculation plus de capital qu’il n’était possible d’en gérer – en d’autres termes, ces expansions financières avaient tendance à créer des bulles de différentes sortes. Je prévoyais que cette expansion financière mènerait à une crise terminale parce que, aujourd’hui comme dans le passé, les bulles ne peuvent pas tenir.

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