« Je pense que les peuples ont pris conscience du fait qu’ils avaient des intérêts communs et qu’il y avait des intérêts planétaires qui sont liés à l’existence de la terre, des intérêts que l’on pourrait appeler cosmologiques, dans la mesure où ils concernent le monde dans son ensemble ».
Pierre Bourdieu (1992)


vendredi 9 mai 2014

Laurent Cordonnier, La liquidation

Laurent Cordonnier
La liquidation
Les Liens qui Libèrent
2014

Présentation de l'éditeur
Dans La liquidation, Laurent Cordonnier déconstruit par la fiction la folie de notre monde contemporain, ravagé par l’économie de marché, maintenu en vie pour servir jusqu’à son dernier souffle les appétits de la finance. 
Du temps a passé depuis le début de la grande crise écologique et le reflux de la mondialisation. Le monde que nous avons connu depuis la révolution industrielle a beau toucher à sa fin, l’économie de marché n’en continue pas moins de faire des « progrès », sous la férule des banques et des institutions financières qui ont accaparé tous les pouvoirs, et qui cherchent dans les décombres de ce vieux monde (dont elles précipitent tragiquement la fin) de quoi survivre et même triompher encore. C’est le thème principal de ce roman d’anticipation politique et économique: pendant la liquidation, l’économie de marché et la finance aux abois continuent de travailler à leur propre accomplissement. La « liquidation » en question est donc tout à la fois celle de la société, en proie à un effondrement démographique irréversible ; celle de l’économie, repliée sur elle-même suite au reflux de la mondialisation, et tragiquement en manque de nouveaux eldorados ; celle de la ville, dont le périmètre ordonné et viable se rétrécit ; celle des actifs immobiliers, dont la valeur suit le déclin de la population ; et celle des banques… qui mettent tout en œuvre pour essayer d’en refouler la perspective inéluctable. Mais la « liquidation », c’est aussi celle de Philippe Smithski, le personnage principal de cette fiction, dont les affaires personnelles sont le triste décalque de la marche du monde qu’il habite. Pris au piège d’une procédure de redressement économique, au bord de la faillite personnelle, à la fois maintenu en vie et mis la tête sous l’eau par sa propre banque, Smithski – un héros à reculons, qui fait ce qu’il peut pour se hisser à la hauteur de la situation –  semble dériver inexorablement vers la déchéance promise aux « Wibankacs » (littéralement : Without bank accounts… ceux qui n’ont même plus de compte en banque).
Mais c’est sans compter la résistance de quelques habitants des tours Lumières, dans le quartier de Poor Venice, sans compter la sollicitude et l’engagement de Laurène (la compagne de Smithski, et la très dévouée présidente du syndicat des filles de joie), sans compter les complicités au sein de l’appareil d’Etat, et au sein même de la banque, et sans compter le hasard des rencontres… qui feront que la vie de Smithski prendra soudainement les allures d’une épopée, laissant finalement entrevoir une issue possible. Dans cet univers totalement désenchanté, où tout semble se rétrécir, où la nature a totalement disparue (survivant uniquement comme une attraction pour parcs à thèmes), où le non-sens menace chaque action, où le passé subsiste uniquement sous forme de reliques, où les enfants sont devenus indésirables, où la froide logique comptable de la valorisation des actifs en temps réel et à la fair value dicte sa loi aux organisations et aux êtres vivants, où seules les banques semblent maîtriser la situation – l’Etat et le gouvernement, complètement dépassés, en sont réduits à commenter intelligemment le cours catastrophique des choses – … dans ce monde où seule la rigueur implacable du calcul économique semble constituer un point fixe, quelque chose finira par échapper. Le lecteur, qui sent monter progressivement l’hypothèse d’une machination grandiose, dont Smithski est manifestement la victime et l’instrument, et dont l’insondable directeur des ressources humaines de la banque, Hassan von Neumann, semble être le grand ordonnateur, découvrira tardivement qu’il doit réexaminer sa théorie du complot, à laquelle son imagination l’aura sans doute converti. Le complot n’est pas celui que l’on croit. Dans ce roman, qui se plait à retrousser malicieusement les grands thèmes orwelliens, pour les transposer à l’univers de la dictature décentralisée des marchés et de la finance, et à la tyrannie de l’autocontrôle disséminé (la soumission procède d’un assujettissement volontaire aux règles de l’exposition narcissique dans l’espace public) la fin prend à revers les sombres prophéties d’Orwell, et laisse entre-ouverte la plausibilité d’un retournement.


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