samedi 19 juin 2010

revue Agone 43 « Comment le genre trouble la classe »


revue Agone 43
« Comment le genre trouble la classe »
Agone
2010


Présentation de l'éditeur
Il est rare que l’épouse soit la seule femme qui réalise, « hors marché », le travail domestique au sens large : bonnes et prostituées, pour ne citer qu’elles, souvent migrantes, interviennent également, contre une rémunération plus ou moins sonnante et trébuchante. Cela implique-t-il pour autant que la classe des femmes n’existe pas, parce que les antagonismes entre « Madames » et migrantes sans papiers l’auraient fait voler en éclats ? Ce serait aussi simpliste que de penser que le prolétariat est un concept dépassé parce qu’on trouve en son sein des contremaîtres. La classe des femmes existe dans la mesure où existe une très nette division sexuelle du travail, qui exige des unes qu’elles réalisent le travail de reproduction sociale et qui en exempte les membres de la classe des hommes. Et il convient d’observer un organisateur du travail beaucoup plus à même de dresser des stratégies à moyen et long terme : l’État, en tant qu’agent des logiques d’accumulation de capital.




SOMMAIRE

Éditorial: Ce que le tournant postmoderne fait au féminisme, la rédaction

Le marxisme et l’origine de l’oppression des femmes : une nécessaire réactualisation, Christophe Darmangeat
De tous les thèmes qu’aborda il y a cent trente ans Friedrich Engels dans L’Origine de la famille, celui de l’oppression des femmes est sans aucun doute l’un de ceux qui continue de nos jours à être le plus chargé d’enjeux. L’ensemble des féministes conséquents ont en effet toujours considéré que le combat pour l’émancipation des femmes devait s’appuyer sur une claire compréhension des causes et des mécanismes de leur oppression. Les lignes qui suivent se proposent d’indiquer autour de quels axes il convient d’actualiser les raisonnements marxistes sur ce sujet à la lumière des innombrables découvertes qui se sont accumulées depuis un siècle.

Une force féminine consciente et responsable qui agisse en tant qu’avant-garde de progrès. Le mouvement des Mujeres Libres (1936–1939), Miguel Chueca
Dans sa « double lutte » pour l’émancipation sociale et féminine – pour la « liberté extérieure » et la « liberté intérieure » de la femme –, un des principaux mérites de Mujeres Libres fut certainement de mettre en évidence les points aveugles de l’organisation syndicaliste révolutionnaire dont elles étaient issues. Mais cela ne doit pas faire oublier que ce mouvement avait mis aussi à découvert les limites du seul combat contre les injustices issues de la différence de genre, qui pouvait éclipser – voire nier – le combat contre les différences de classe et la domination sociale, des sujets auxquels les femmes ouvrières de Mujeres Libres ne pouvaient rester indifférentes.

Une femme de mineur à la tribune de l’Année internationale de la femme (1976), Domitila Barrios de Chungara
Traduit de l’espagnol par Louis Constant et présenté par Elsa Laval
Je suis montée à la tribune et j’ai parlé. Je leur ai montré qu’elles ne vivaient pas dans le même monde que nous. Je leur ai montré qu’en Bolivie on ne respecte pas les droits de l’humanité. Que les dames qui s’organisent pour jouer à la canasta et applaudir le gouvernement ont droit à toutes les garanties et à tous les respects. Mais les femmes comme nous, les ménagères, qui nous organisons pour que se lèvent nos peuples, nous sommes battues, nous sommes poursuivies. Elles ne voyaient pas nos compagnons cracher leurs poumons sanglants, morceau par morceau… Elles ne voyaient pas la dénutrition de nos enfants. Et, bien sûr, elles ne savaient pas, comme nous, ce que c’est de se lever à quatre heures du matin et de se coucher à onze heures ou à minuit, rien que pour arriver à accomplir son travail domestique, parce que nous manquons de tout.

Pourquoi le post-structuralisme est une impasse pour le féminisme, Barbara Epstein
Traduit de l’anglais par Philippe Olivera
Les hypothèses qui sous-tendent le postmodernisme vont à l’encontre des fondamentaux du radicalisme politique et sa structure implicite est en contradiction avec les valeurs progressistes. La version du poststructuralisme adoptée par les féministes a principalement eu pour effet de saper l’analyse du monde social, en remplaçant les préoccupations sociales par des préoccupations intellectuelles et esthétiques. Bien que n’étant pas motivé par le dessein secret d’anéantir les mouvements progressistes, le postmodernisme a pour effet de déstabiliser les efforts tendant vers une analyse progressiste et décourage l’intérêt pour la réalité sociale.

Féminisme et postmodernisme, Sabina Lovibond
Traduit de l’anglais par Bruno Ambroise et Valérie Aucouturier
Il est difficile de voir comment quelqu’un pourrait se considérer comme
féministe et demeurer indifférent à la promesse moderniste d’une reconstruction sociale. Et la théorie féministe est largement redevable envers les analyses matérialistes des institutions – les écoles, les universités, etc. –, qui ont rendu possible la mise en évidence des rôles inégaux joués par différents groupes sociaux dans la détermination des normes de jugement. Elles ont ainsi révélé le caractère idéologique de systèmes de valeur qui passaient auparavant comme objectifs ou universellement valides. Le féminisme peut bénéficier, tout autant que n’importe quel mouvement radical, de la prise de conscience de ce que nos idées à propos de l’intelligibilité ou la puissance d’un argument sont médiatisées par un processus quasi interminable d’apprentissage et d’entraînement sociaux.

Peut-on penser une construction performative du genre ?, Bruno Ambroise
Une véritable attention aux conditions de fonctionnement des éventuels performatifs définissant l’identité sexuelle, une attention au concret de la vie du langage montre que celui-ci est tout à la fois plus affecté par les conditions concrètes des agents et moins « matériel » que ne le pensent les déconstructionnistes. Vouloir combattre réellement l’identité sexuelle des personnes, c’est-à-dire l’identité de genre, en tant que celle-ci est injurieuse et coercitive doit conduire à affronter les conditions réelles de réalisation des performatifs qui les instaurent et à se confronter aux conditions sociales, économiques, juridiques qui les sous-tendent. Car celles-ci, outre qu’elles conditionnent ces derniers (ou leurs fantômes), sont probablement plus effectives, dans la construction des identités sexuelles et leur hiérarchie, que les éventuelles normes qui les énoncent.

Cent ans de sollicitude en France. Domesticité, reproduction sociale, & migration, Jules Falquet et Nasima Moujoud
L’assignation des femmes au travail domestique et de reproduction sociale est une constante et constitue l’un des points nodaux des rapports sociaux de sexe. Mais il faut redimensionner le cadre d’analyse, sortir du foyer et de la gratuité : depuis le début du XXe siècle, il est rare que l’épouse soit la seule femme qui réalise, « hors marché », le travail domestique au sens large ; ainsi, bonnes et prostituées, pour ne citer qu’elles, souvent migrantes, interviennent également, contre une rémunération plus ou moins sonnante et trébuchante. Cela implique-t-il pour autant que la classe des femmes n’existe pas, parce que les antagonismes entre « Madames » et migrantes sans papiers l’auraient fait voler en éclats ? La classe des femmes existe bel et bien ; mais il convient d’observer un organisateur du travail autrement puissant que les « Madames » ou les « Messieurs » : l’État.

La leçon de choses
Au service de Robert Walser. Notes éditoriales, Anne-Lise Thomasson et Thierry Discepolo
Un point c’est tout, Robert Walser ; traduit de l’allemand par Lucie Roignant
Note du traducteur, suivi de Curriculum. À propos de L’Homme à tout faire, Walter Weideli

Histoire radicale
Victor Serge (1890–1947). De la jeunesse anarchiste à l’exil mexicain. Présentation par Charles Jacquier
De Paris à Barcelone, Rirette Maîtrejean
Un homme de pensée et d’action au service de la vérité et de la liberté, Julian Gorkin
Le groupe Socialisme y Libertad. L’exil antiautoritaire d’Europe au Mexique et la lutte contre le stalinisme (1940–1950), Claudio Albertani ; traduit de l’espagnol par Miguel Chueca

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