Appel « Savoirs en
action »
L’ordre règne. Les inégalités se creusent de
manière vertigineuse. Les rapports marchands
colonisent des territoires pourtant longtemps
préservés, de l’éducation à la santé, de la culture à
l’environnement. De prétendus critères de rentabilité
s’imposent désormais à tous les services publics.
Tandis que les formatages publicitaires prolifèrent,
la compétition et l’esprit d’entreprise sont des
objets de culte à vénérer. Les solidarités sociales se
détruisent sous l’effet d’une mise en concurrence
généralisée. Le stress, l’anxiété et parfois
l’angoisse envahissent les existences, à l’heure où
le burn out est en passe de devenir l’une des
pathologies majeures de notre temps.
L’ordre règne, donc, et ses défenseurs
renouvellent sans cesse les armes de sa domination.
Responsables politiques et intellectuels à son service
travaillent d’arrache-pied à faire croire qu’il irait
de soi. Après avoir ordonné le silence sur les classes
sociales et leurs luttes – comme si elles avaient
disparu – et sur le mot même de « capitalisme » – à ne
pas contester au point de ne même plus le nommer –,
les gardiens de l’ordre misent sur la résignation en
imposant leur doxa et leur jargon. Ces experts parlent
du travail d’après son « coût », assimilent la
protection sociale à des « charges », font passer des
régressions pour des « réformes », opposent qui a un
travail et qui n’en a pas, qui est né ici ou pas. Il
faudrait donc acquiescer à cet ordre-là, à son
organisation sociale fondée sur la course au profit et
l’inégalité, sans autre forme de procès.
Au contraire, la critique a pour vocation de
ne pas accepter le monde tel qu’il va. Elle se donne
pour tâche de montrer ce qu’il y a de construction
sociale, de rapports de force et de domination dans ce
qui nous est donné pour « naturel » ou « évident ».
Mais elle ne saurait s’en contenter. Il ne s’agit pas
seulement d’interpréter le monde, mais de le
transformer : la proposition reste vraie ; elle pose
une tâche urgente. Collectivement, par le croisement
de l’analyse et de la pratique, par la critique de ce
qui est et l’expérimentation de ce qui peut être, il
est possible de concevoir d’autres manières d’imaginer
nos vies, notre rapport au temps, à l’éducation, au
travail et à la création. « Il n’y a pas
d’alternative » nous a-t-on longtemps martelé. Contre
cette sommation à ne plus penser, un chantier,
immense, est à explorer.
Certes, les difficultés sont nombreuses. Dans
tous les milieux, la force des institutions,
l’enrôlement à la pensée dominante, la concurrence et
la précarité sont autant d’obstacles à surmonter. Le
monde de la recherche en général, des sciences
sociales en particulier, n’est évidemment pas
épargné : il risque aussi sans cesse le surplomb, le
monopole de la parole et la vanité que peut engendrer
un système de compétition. Comprendre la production
sociale de ces conditions, c’est déjà aider à les
dépasser ; mais cela, encore une fois, ne suffit pas.
Pour celles et ceux qui n’ont pas renoncé à la pensée
critique, quels que soient leurs disciplines, leurs
professions et leurs engagements, surmonter le
sentiment d’isolement et parfois d’impuissance impose
de se retrouver, de réfléchir et d’agir ensemble.
« Savoirs en action » se donne pour objectif
de lutter contre les cloisonnements des connaissances.
Cette association entend mettre en partage les
savoirs, en faisant le constat que chacune, chacun,
possède des savoir-faire, des formations, des
connaissances nées de métiers, d’expériences et de
luttes. Pour accroître notre compréhension du monde,
il s’agit de les mutualiser et d’en faire un bien
commun. Loin du postulat selon lequel seul.e.s
certain.e.s auraient une parole autorisée, le projet
est de rompre avec ce qui nous sépare, nous isole et
nous enferme dans nos positions assignées comme s’il
s’agissait de fatalités. Le principe de « Savoirs en
action » est que chacun.e d’entre nous peut donner et
recevoir du savoir.
Ce partage des apprentissages est ici conçu
comme source de solidarité mais aussi comme ressource
de lutte : à la joie possible d’apprendre ensemble se
mêle la force de réagir et d’agir. Le nom de
l’association le dit bien : ce sont des savoirs en
action. Elle souhaite aussi revoir à cette aune les
combats du passé, d’en faire une histoire et une
mémoire vives, pour que de cette transmission naisse
l’exploration de pratiques émancipatrices.
Concrètement, « Savoirs en action » proposera
• des ateliers rompant avec le dispositif
classique d’une parole monopolisée devant un public
passif. Ces ateliers, mettant en œuvre au contraire un
partage des savoirs, mobiliseront chercheur.se.s,
universitaires, enseignant.e.s, travailleur.e.s
sociaux, syndicalistes, militant.e.s associatifs,
artistes, salarié.e.s avec ou sans emploi,
retraité.e.s. Ils pourront se tenir dans les bourses
du travail, renouant ainsi avec leur vocation
d’origine, mais aussi sous la forme de soirées-débats
organisées avec des associations de quartiers ;
• des traces matérielles laissées de ces
rencontres sous forme d’articles, de discussions,
d’entretiens vidéos qu’accueillera le site de
l’association ;
• un lieu fédérant et faisant connaître les
différentes initiatives prises en ce sens ;
• l’écriture collective de livres, incisifs
et bon marché, rassemblés au sein d’une collection ;
et plus particulièrement une réflexion sur les
programmes de l’enseignement, l’élaboration de
contre-programmes et de manuels critiques ;
• des interventions sous forme d’ateliers
itinérants, dont la mobilité permettra les rencontres
et l’intervention dans les luttes, contribuant à
nourrir un réseau réactif d’informations sur les
mobilisations en cours.
Nous appelons chacune et chacun à rejoindre
« Savoirs en action », en diffusant et en signant ce
texte, et en participant à son Assemblée Générale de lancement, le samedi 6 juin 2015 à la Bourse du Travail République, rue du Château d’Eau, à Paris, de 10h30 à 17h, salles Varlin (pour les plénières), Pottier, Pelloutier et Ferrer (pour les commissions).
(source: Liste ASES)
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