Le vendredi 5 octobre 2012, l'ARESER organise à Paris un colloque international intitulé: "L'Université à l'heure de la marchandisation des savoirs". En voici l'argument:
Depuis le milieu des années 1990, l’histoire des universités s’est accélérée. L’emprise croissante de la doxa néolibérale sur tous les secteurs de la vie sociale aboutit à l’université, comme dans le monde de la recherche, à une dévaluation progressive des valeurs académiques comme à un recul de l’autonomie scientifique. Dans la plupart des pays, la marchandisation des savoirs se manifeste par l’explosion des frais d’inscription (et corrélativement l’endettement des étudiants et de leurs parents), une diminution des budgets pérennes des laboratoires au profit de concours sur appels d’offre, une relégation croissante de la recherche fondamentale comme de la pensée critique, une précarisation accrue des personnels notamment débutants, administratifs, techniques ou d'enseignement, un renforcement des inégalités entre établissements au nom de la course à l’excellence et au classement international, une pression accrue sur les étudiants pour une formation finalisée et accélérée. Ces politiques se traduisent aussi par un recul de la démocratie universitaire au profit d’une gouvernance autoritaire calquée sur le modèle de l’entreprise ou des administrations gérées selon les normes du New Public Management. Le désengagement de l’Etat et les divisions croissantes du monde académique s’accompagnent d’une colonisation par de nouveaux modes de gestion avec notamment la prolifération d’une novlangue managériale vectrice de nouvelles procédures d’évaluation et de classement plus ou moins arbitraires et gaspilleuses de temps et de personnel. Et - malgré leur indigence intellectuelle reconnue même par certains responsables - ces classements prennent un ascendant croissant sur des « décideurs » pressés et de plus en plus sommés par les marchés financiers de réduire à sa plus simple expression l’Etat providence, redistributeur, mais aussi éducateur, pour faire advenir un univers concurrentiel, source supposée de tous les bienfaits économiques, sociaux, intellectuels comme politiques à venir.
Ces évolutions structurelles se répercutent sur la production des savoirs. De nouvelles disciplines adaptées au nouveau cours se développent fortement (gestion, informatique, études pluridisciplinaires centrées autour de l’étude d’un objet empirique socialement préconstruit, etc.), tandis que les humanités et disciplines les plus gratuites et théoriques sont contestées ou s’étiolent, alors que les décideurs se font pourtant les chantres de la « société de la connaissance ». De même, la volonté de faire advenir des centres de recherche « d’excellence » à tout prix en plus d’une bureaucratisation croissante du métier d’enseignant-chercheur comme de chercheur aboutit à la constitution de véritables déserts scientifiques dans les lieux qui n’ont pas été distingués. Elle se révèle être aussi une puissante source de conformisme intellectuel que peine à masquer un internationalisme de façade et qui privilégie les circulations entre les pôles dominants de la société universitaire : Etats-Unis/Europe du nord-ouest/Chine/Japon/Inde comme l’indique le dernier rapport sur la science de l’UNESCO.
Cette mutation des savoirs comme de leurs conditions de production et de diffusion s’accompagne aussi, à la faveur de la récente massification universitaire, d’une reconfiguration des modalités de transmission. Si les institutions dominantes continuent toujours à dispenser, comme à produire, des savoirs généralistes à des fractions d’étudiants avancés de plus en plus privilégiés et assurés d’occuper ensuite une position élevée dans la société future, les établissements accueillant un public moyen ou plus populaire sont sommés de « s’adapter » à leur nouveau public en développant des filières professionnalisées et spécialisées censées mieux répondre aux attentes des employeurs comme de leurs étudiants. A l’instar de l’autonomie scientifique, la vocation historique à la fois généraliste, critique, voire émancipatrice, de l’université recule donc peu à peu, contribuant ainsi à l’appauvrissement généralisé de la culture comme du débat démocratique.
Afin de faire le point sur ces évolutions, de définir les spécificités nationales ou disciplinaires, comme de rendre compte des résistances qu’elles rencontrent un peu partout dans le monde, l’ARESER organise donc le 5 octobre 2012 un colloque international à Paris à l'Ecole normale supérieure qui tirera de la comparaison et du débat les fondements d’une critique rationnelle de l’état des choses et d’une redéfinition alternative d’un nouvel idéal académique.
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LA MARCHANDISATION DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR DANS LE MONDE
ECOLE NORMALE SUPÉRIEURE
VENDREDI 5 OCTOBRE 2012
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PROGRAMME COLLOQUE ARESER
VENDREDI 5 OCTOBRE 2012
Paris, Ecole Normale supérieure 45 rue d’Ulm 75005 Paris
Salle des résistants, escalier A 1er étage
9h 30 : Introduction : Charles Soulié (PARIS 8) secrétaire de l’ARESER
10h :
Eli Thorkelson, Etats-Unis, « L’usage politique des modèles
d’universités étrangères : l’université américaine aux yeux des
Français.
En
France, des débats récents sur la politique universitaire se sont
souvent développés autour de certains « modèles d'université »,
notamment autour du « modèle américain ». Il est évident que l'image
française de l'université américaine ne correspond jamais parfaitement à
la réalité institutionnelle outre-Atlantique, mais ce qui nous
intéresse ici, c'est cet écart entre modèle et réalité qui est devenu
l’un des enjeux pour les acteurs français eux-mêmes. Ainsi, on
rencontre souvent des critiques du style : "Vous, vous ne connaissez pas
du tout le modèle américain ; c'est moi qui le connais
véritablement..." Nous décrirons ici les usages récents du modèle
américain dans le contexte des réformes sarkozystes de l'université
française, en soulignant les conflits épistémologiques et les positions
sociales qui les sous-tendent.
10h30 : Alexandre Bikbov, Russie, L'université en Russie : le prix de réussite
L'université
russe représente un champ d'expérimentation économique et sociale qui
révèle, sous une forme aiguisée, un futur possible de l'enseignement
supérieur en Europe consécutif aux « réformes » actuelles. Après avoir
subi dans les années 1990 une privatisation « noire », l'espace
universitaire russe absorbe dans la décennie suivante des tentatives de
régulation étatique. Loin de contrebalancer les effets hiérarchisant de
la commercialisation sauvage, cette régulation les amplifie par des
tentatives pour s'emparer des flux financiers. L'impératif de réduire le
secteur de l'enseignement public gratuit répété par les ministres
successifs de l’enseignement supérieur va de pair avec une montée de la
formation payante au sein des grandes universités publiques et des taux
de réussite pathologiques proches de 100% au milieu des années 2000.
L'intervention retrace certaines de ces tendances qui se croisent au
prix d'une reforme permanente de l’enseignement supérieur.
11h-11h15 Pause
11h15 : Aurore Merle, (Centre de recherche sur la Chine contemporaine de Hong Kong), L’université en Chine : une institution sous tension
Le
« classement de Shanghai » et la présence croissante d’étudiants
chinois dans les universités hors de Chine traduisent non seulement le
rôle nouveau de ce pays dans le processus d’internationalisation des
systèmes d’enseignement supérieur et de marchandisation des savoirs mais
reflètent également les profondes transformations qu’ont connues les
universités chinoises depuis le milieu des années 1990. L’objet de cette
étude sera d’interroger ces mutations et de révéler les nombreuses
tensions qu’elles contribuent à créer au sein des universités.
11h 45 : Pierre Vermeren (Paris 1), Les universités publiques du Maghreb, peuvent-elles s'aligner sur la mondialisation universitaire?
Au
Maghreb, les universités sont confrontées à des problèmes endogènes :
appauvrissement, massification, contrôle politique, questions
linguistiques et concurrence privée. Elles sont en outre soumises aux
exigences d'alignement sur les normes européennes. Les Etats veulent-ils
et peuvent-ils les réformer à la mesure des exigences nécessaires, ou
vont-ils opter pour la facilité en créant un secteur parallèle de
nouveaux établissements privés ou para-publics ?
12h15 -13h Discussion générale
13h14h30 Déjeuner
14h 30 : Donald Broady et Mikael Börjesson (Université d'Uppsala): Oraison funèbre du modèle suédois
Paradoxalement,
le système suédois d'enseignement supérieur public, qui avait la
réputation d’être l'un des plus homogènes et des plus égalitaires, s’est
adapté aux principes du New Public Management et aux modèles de gestions empruntés au monde des entreprises avec moins de résistance que dans de nombreux autres pays.
15h : Annick Lempérière (Paris 1) : L'éducation supérieure comme business. Le modèle néolibéral chilien.
Le
système universitaire chilien compte aujourd'hui 80% d’établissements
privés. Cette situation dérive de la réforme universitaire voulue par
le régime militaire au début des années 1980, qui a transformé
l'éducation supérieure en marché ouvert aux investissements et à
l'emprise idéologique des groupes économiques. Le Chili illustre sous
une forme extrême l'évolution qu'ont connue tous les systèmes
universitaires latino-américains dans les trois dernières décennies.
15h 30-16h : Hans Ulrich Jost (Lausanne) : La révolution oblique des universités suisses
L'adhésion
de la Suisse à la Convention de Bologne, en 1999, a permis à la
Confédération de réorganiser de fond en comble le système universitaire.
Sortirent gagnants de cette réforme: les deux Écoles polytechniques
fédérales et certains domaines des sciences naturelles et de la
médecine. Les sciences humaines et sociales, quant à elles, éprouvèrent
maintes difficultés à s'adapter à la nouvelle situation. Toujours est-il
que, pour qui défend l'efficience néolibérale, il s'agit d'un franc
succès permettant à la Suisse de maintenir une bonne place dans la
concurrence internationale des universités.
16h- 16h 15 Pause16h15-16h 45 : Agnès Pelage, La langue anglaise en Australie : les enjeux d'un marché de l'enseignement supérieur en expansion
C’est
à la fin des années 1980 que l’Australie a adopté un modèle
concurrentiel de développement du système d’enseignement supérieur,
fondé sur une réduction continue des fonds gouvernementaux alloués à
l’enseignement supérieur et qui se résume par la formule « faire plus
avec moins ». Dans cette perspective, l’éducation a été
redéfinie comme l’un des instruments privilégiés de stimulation de
l’activité économique et de la compétitivité internationale. Les
réformes adoptées dans les années 1990 ont notamment débouché sur le
développement d’un véritable « marché des étudiants internationaux »,
véritable manne financière dans un contexte de restriction du
financement public. Il s’agit à la fois d’attirer les étudiants du monde
entier, et d’ainsi concurrencer les Etats-Unis, et d’exporter des
services éducatifs australiens (offshore education). Aujourd’hui, l’éducation représente la troisième industrie du pays (Education Industry)
d’autant que le gouvernement fédéral a décidé de lier étroitement
politique éducative et politique d’immigration, faisant du niveau de
langue et du niveau de qualification un enjeu central de cette
articulation.
On
examinera la manière dont la langue anglaise est devenue un outil de
restructuration de l’enseignement supérieur australien. En effet,
derrière l’internationalisation de l’enseignement supérieur (au nom de
la coopération entre les pays, de la compréhension interculturelle,
etc.), l’extension du marché de l’éducation conduit à la
« globalisation » des universités, de leur fonctionnement, et des
conditions de travail des personnels enseignants et plus largement des
universitaires. A partir d’une étude de cas de cours dispensés par
l’Université de New South Wales Global, destinés à des étudiants
« internationaux » déjà diplômés mais souhaitant poursuivre leur
formation en Australie et y obtenir un diplôme, j’explorerai les enjeux
de ce que recouvre la « Globalisation » pour les enseignants comme pour
les étudiants.
Discussion générale 16h45-17h15
17h15- 17h 45 Conclusions du colloque : Christophe Charle (Paris 1, IUF), président de l’ARESER
18h15 Pot de clôture
source: L'Association de Réflexion sur les Enseignements Supérieurs et la Recherche (ARESER) |
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