« Je pense que les peuples ont pris conscience du fait qu’ils avaient des intérêts communs et qu’il y avait des intérêts planétaires qui sont liés à l’existence de la terre, des intérêts que l’on pourrait appeler cosmologiques, dans la mesure où ils concernent le monde dans son ensemble ».
Pierre Bourdieu (1992)


mercredi 4 avril 2012

Appel à contribution: Faire de la sociologique économique avec Pierre Bourdieu

Appel à contribution

Mardi 15 mai 2012  |  Lille

Faire de la sociologique économique avec Pierre Bourdieu

Résumé
Le Clersé organise une journée d'études consacrée à la sociologie économique bourdieusienne et à son actualité. Cinq thèmes structureront la journée : - Penser l'ajustement entre l'offre et la demande : L'homologie structurale - Le dialogue de Bourdieu avec l’économie - L'autonomisation du champ économique, la constitution d’un habitus économique - La diffusion du nomos économique dans des sous-champs d’activité - Les transformations du champ du pouvoir économique depuis La noblesse d'État Les intentions de communication sont attendues pour le 15 mai 2012, la journée d'études se tiendra le 6 septembre 2012.
Annonce

Argumentaire

La sociologie économique de Pierre Bourdieu n’est pas toute entière contenue dans le seul ouvrage consacré aux structures sociales de l’économie (2000). On trouve dans La Distinction (1979), une théorie de « l’orchestration » entre l’offre et la demande ; dans La Noblesse d'État (1989) une analyse des luttes au sein du champ du pouvoir économique et de ses effets sur le fonctionnement et les transformations du monde social et économique ; dans les travaux d’ethnologie sur l’Algérie, une réflexion sur la genèse de l’habitus économique rationnel des individus socialisés dans un cosmos capitaliste ; dans des travaux plus théoriques sur le sens pratique (1980) une critique de l’usage de l’homo œconomicus rationnel et de l’utilitarisme dans les sciences sociales ; etc.
Un apport essentiel de la sociologie économique de Pierre Bourdieu réside dans son exigence à promouvoir le mode de pensée relationnel. En replaçant, chaque fois, les pratiques et les représentations des agents dans le cadre de l’ensemble des autres pratiques et des autres représentations qui leur seraient socialement disponibles au moment où ils agissent, cette sociologie économique donne à voir, non pas la rationalité (calculatrice) des choix effectués par les agents et les résultats qu’ils obtiennent, mais la raison qui en est au  principe, et qui est elle-même socialement déterminée par l’histoire individuelle (l’habitus de classe) et collective (les luttes de concurrence).
L’enjeu de cette journée d’études est de rassembler les travaux de recherche qui, parce qu’ils  mobilisent les outils et le mode de pensée relationnel, perpétuent cette manière spécifique de faire de la sociologie économique. Afin de donner un cadre aux discussions susceptibles de s’engager entre les chercheurs, nous proposons que les propos s’axent autour des thèmes suivants :

Penser l'ajustement entre l'offre et la demande : L'homologie structurale

Le concept d'homologie structurale permet de penser l'ajustement entre offre et demande. Cet ajustement n'est ni l'imposition de productions aux consommateurs, ni l'anticipation des « besoins » des consommateurs par les producteurs. Il s'agit du « résultat de l'orchestration objective de deux logiques relativement indépendantes, celle du champ de production et celle du champ de consommation. »
L'analyse en termes d'homologie structurale a été plus particulièrement développée en matière de biens culturels. Pourtant, la sociologie économique est concernée au premier chef : les producteurs, les produits, les consommateurs et leurs besoins, ne sont pas ici de commodes métaphores, car c'est par référence au marché économique que ces mots prennent sens pour éclairer les logiques de champs et leurs rapports. Comment placer l'homologie structurale  au cœur de l'analyse de marchés, de sous champs économiques ? Comment – au sens propre - les consommateurs choisissent-ils des produits qui les choisissent ? On attend des contributions qui mettront en évidence la pertinence du concept, et qui montreront que la métaphore de l'orchestration est préférable à celle de la main invisible pour penser la rencontre entre l'offre et la demande.

Le dialogue de Bourdieu avec l’économie

Paradoxalement, Pierre Bourdieu a engagé un dialogue critique avec l’économie mainstream (et son rejeton sociologique, la « théorie du choix rationnel ») sans pour autant chercher d’alliés du côté des économistes hétérodoxes.
Dans un premier temps, le concept économique d’intérêt, appliqué aux mondes de l’art, de la culture, de la religion, a été pour lui un moyen de « désenchanter» ces mondes et de les observer d’un point de vue matérialiste. Dans ses études désormais un peu oubliées qu’il a faites avec Alain Darbel sur les stratégies de fécondité, il est en apparence très proche de la théorie de la famille de Gary Becker, au point que certains auteurs (e.g. Fiske) ont cru mettre en évidence la parenté entre les deux auteurs. Mais, à la différence de Gary Becker ou de James Coleman (avec qui on sait peu qu’il a co-signé un ouvrage, inédit en français), Bourdieu ne fait pas du calcul rationnel et de la maximisation de l’utilité les ressorts de l’ensemble des actions, il pose la question des conditions sociales de possibilité de la rationalité économique, comme cas particulier du possible, en matière de ressorts de l’action.
Dans ses derniers écrits, une fois bien établie la notion d’illusio (en relation avec celle de champ), en lieu et place du concept d’intérêt, sa position devient explicitement critique, et son étude empirique sur le marché de la maison individuelle pose les principes d’une approche du monde économique explicitement alternative de celle de l’économie mainstream. Nous aurons à nous interroger sur ces différentes étapes du rapport à l’économie dans l’évolution de la pensée de Bourdieu, ainsi que sur l’intrigue que constitue l’absence chez lui de toute référence aux économistes hétérodoxes.

Autonomisation du champ économique, constitution d’un habitus économique

Depuis ses travaux sur l’Algérie, Bourdieu a souvent mis en lumière l’opposition entre les mondes domestiques ou traditionnels, qui reposent sur une dénégation de l’économie et cet univers spécifique qu’il appelle le « champ économique ». Au terme d’un processus historique de différenciation et au prix d’une révolution symbolique radicale, le champ économique s’est autonomisé (au moins relativement) en un cosmos réglé par un nomos spécifique que l’on peut résumer par la tautologie « les affaires sont les affaires » : dans ce champ désormais autonome il devient légitime de « faire de l’argent » comme une fin en soi, sans qu’aucune autre justification (morale ou religieuse) entre en ligne de compte.
Parallèlement à ce processus, un habitus économique adapté à ce champ a fait son apparition. De nombreux auteurs, historiens de l’économie ou sociologues (e.g. Viviana Zelizer), ont contribué à décrire quelques-unes des étapes par lesquelles s’est progressivement autonomisé le champ économique et établi l’habitus économique. Nous invitons les participant(e)s à proposer des contributions sur ces thèmes.

La diffusion du nomos économique dans des sous-champs d’activité

En 1997, dans un article-bilan consacré au « champ économique », Bourdieu décrit cet univers, historiquement construit, où le nomos spécifique est la recherche de la maximisation du profit matériel individuel. Constatant la diffusion de ce nomos à de plus en plus de sphères de l’existence, Bourdieu parle d’une « révolution conservatrice ». Celle-ci a lieu par exemple dans l’édition (1999), où un processus de concentration affecte ce sous-champ d’activité, transformant les pratiques et les subordonnant de plus en plus étroitement aux normes commerciales.
Les interrogations portent alors sur le caractère irréversible ou non de ce phénomène, ou sur l’état des résistances à cette emprise de la marchandisation. En plus des contributions aujourd’hui classiques en sociologie économique, en termes de construction sociale des activités économiques (Garcia-Parpet, 1986), nous sollicitons aussi des travaux qui décrivent et réfléchissent aux déterminants de l’avancée de ce nomos économique et des luttes, internes à différents sous-champs économiques, pour la préservation de leurs frontières, de leur autonomie et de leurs pratiques.

Les transformations du champ du pouvoir économique depuis La noblesse d'État

A partir de l’analyse menée sur l’état du champ du pouvoir économique dans les années 1970 (La Noblesse d'État, 1989), Bourdieu fait le constat d’une consolidation de la position des banques et des banquiers, d’une perte d’autonomie financière des entreprises industrielles, et au sein de celles-ci, d’un renforcement de la direction financière par rapport à la direction technique. Plus précisément, il montre que les positions centrales du champ du pouvoir économique sont principalement occupées par les « patrons d'État ». Dans la concurrence qui les oppose aux « patrons familiaux » (fondateurs ou héritiers) et aux « patrons techniquement compétents » (ingénieurs polytechniciens), ces anciens élèves de Sciences Po ou de l’ENA sont porteurs, à la fois, d’un nouveau mode de domination, de type moderniste, qui prend la forme d’un néo-paternalisme éclairé, inspiré des techniques modernes de management néolibéral à l’américaine (flexibilité, autonomie, benchmarking, etc.), et d’une nouvelle vision du monde économique et social, hautement euphémisé, qui s’appuie largement sur l’utilisation d’un langage d’entreprise conçu, par exemple, pour masquer les hiérarchies formelles ou pour rendre plus douces les formes objectives de contrainte liées à l’organisation productive.
Où en sont aujourd’hui les « patrons d'État » ? Occupent-ils toujours une position centrale dans la structure de la distribution du pouvoir économique, politique et social ? Dans ce cas, quelles sont les stratégies de reproduction qu’ils ont mises en place pour se maintenir ? Et quelles transformations du champ du pouvoir, et du champ des Écoles du pouvoir, cela a-t-il induit ? En apportant des réponses à ces questions suscitées par les travaux de Bourdieu, on voudrait pouvoir mieux saisir le lien entre les stratégies des dominants en lutte dans le champ du pouvoir économique et le processus de financiarisation de l’économie.

Calendrier

Les intentions de communication (environ 3000 signes) devront être envoyées à l'adresse suivante : je.socio.eco.bourdieu@gmail.com

avant le 15 mai 2012

L'avis du comité scientifique sera communiqué le 15 juin.

Les communications retenues devront être envoyées avant le 31 juillet, de façon à être mises en ligne.

Pour toute information complémentaire, n'hésitez pas à contacter les membres du comité d'organisation.
  • bernard.convert@univ-lille1.fr
  • helene.ducourant@univ-lille1.fr
  • fabien.eloire@univ-lille1

Comité scientifique :

  • Bernard Convert (Clersé),
  • François Denord (CSE),
  • Johan Heilbron (CSE),
  • Marie-France Garcia Parpet (CSE),
  • Frédéric Lebaron (CURAPP),
  • Monique de Saint Martin (IRIS)

Comité d'organisation :

  • Bernard Convert (Clersé),
  • Hélène Ducourant (Clersé),
  • Fabien Éloire (Clersé)

Mots-clés
  • sociologie économique, Bourdieu, habitus économique, homologie, champ économique, pouvoir économique
Lieu
  • Lille (Clersé - Université Lille 1)
Date limite
  • mardi 15 mai 2012
Contact
  • Hélène Ducourant
    courriel : je.socio.eco [point] bourdieu (at) gmail [point] com
Source de l'information
  • Hélène Ducourant
    courriel : helene [point] ducourant (at) univ-lille1 [point] fr

« Faire de la sociologique économique avec Pierre Bourdieu », Appel à contribution, Calenda, publié le mercredi 04 avril 2012, http://calenda.revues.org/nouvelle23358.html
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