Paulin Ismard
La Démocratie contre les experts
Les esclaves publics en Grèce
Seuil
L'Univers historique
2015
Présentation de l'éditeur
Supposons un instant
que le dirigeant de la Banque de France, le directeur de la police et
celui des Archives nationales soient des esclaves, propriétés à titre
collectif du peuple français. Imaginons, en somme, une République dans
laquelle certains des plus grands serviteurs de l’État seraient des
esclaves.
Ils étaient archivistes,
policiers ou vérificateurs de la monnaie : tous esclaves, quoique
jouissant d’une condition privilégiée, ils furent les premiers
fonctionnaires des cités grecques. En confiant à des esclaves de telles
fonctions, qui requéraient une expertise dont les citoyens étaient bien
souvent dénués, il s’agissait pour la cité de placer hors du champ
politique un certain nombre de savoirs spécialisés, dont la maîtrise ne
devait légitimer la détention d’aucun pouvoir. Surtout, la démocratie
directe, telle que la concevaient les Grecs, impliquait que l’ensemble
des prérogatives politiques soit entre les mains des citoyens. Le
recours aux esclaves assurait ainsi que nul appareil administratif ne
pouvait faire obstacle à la volonté du peuple. En rendant invisibles
ceux qui avaient la charge de son administration, la cité conjurait
l’apparition d’un État qui puisse se constituer en instance autonome et,
le cas échéant, se retourner contre elle.
Que
la démocratie se soit construite en son origine contre la figure de
l’expert gouvernant, mais aussi selon une conception de l’État qui nous
est radicalement étrangère, voilà qui devrait nous intriguer.
Paulin
Ismard est maître de conférences en histoire grecque à l’université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a récemment publié L’Événement Socrate
(Flammarion, 2013, prix du livre d’histoire du Sénat 2014).
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