« Je pense que les peuples ont pris conscience du fait qu’ils avaient des intérêts communs et qu’il y avait des intérêts planétaires qui sont liés à l’existence de la terre, des intérêts que l’on pourrait appeler cosmologiques, dans la mesure où ils concernent le monde dans son ensemble ».
Pierre Bourdieu (1992)


lundi 22 février 2016

écouter: Mustapha Belhocine, Précaire ! Nouvelles édifiantes


La librairie Tropiques, 9 avril 2016 

écouter:
Mustapha Belhocine, Précaire ! Nouvelles édifiantes
Le 5/7 du week-end par Dorothée Barba, 27.03.2016

Mustapha Belhocine, Précaire ! Nouvelles édifiantes
Comme un bruit qui court par Giv Anquetil, Charlotte Perry et Antoine Chao, 06.02.2016
Mustapha Belhocine
Précaire ! 
Nouvelles édifiantes
Agone
Cent mille signes
2016

Présentation de l'éditeur
Quelques scènes d’une vie de précaire consignées par un apprenti sociologue retournant la domination et l’exploitation par l’écriture.

Devant moi, un hall gigantesque, divisé en cages grillagées sur toute la hauteur. On ne peut pas passer d’une cage à l’autre, chaque porte est surveillée par un agent de sécurité et seuls les contremaîtres peuvent ouvrir. Je suis devant un tapis roulant. Une boîte tombe du ciel, un carton arrive et je dois mettre la boîte dans le carton. Au bout de cinq minutes, je suis déjà épuisé, comment je vais tenir jusqu’à 21 heures ? Comment je vais tenir tout court ? Comment peut-on tenir plusieurs mois ?
À 19 heures les machines s’arrêtent. Je ne sentais plus mes jambes ni mes bras. Escortés par les chefs d’équipe, nous marchons d’un pas lent, en file indienne. On nous ouvre puis nous regroupe à cinquante dans une petite salle crasseuse. Il n’y a pas assez de chaises, de toute façon je n’aurais pas eu la force de m’asseoir.
— Écoutez, je sais que vous avez beaucoup travaillé, ça fait à peine cinq minutes que vous êtes en pause, mais on vient de recevoir de la marchandise. Alors on y retourne, vous récupérerez une heure ce soir, mais pour ça, faut emballer et faire ça bien !
J’interpelle un mec à côté de moi : « Putain, c’est pas possible, ils n’ont pas le droit ! C’est interdit, ils ne font pas ça tous les jours... »
— Si ! Tous les jours, c’est comme ça.

Mustapha Belhocine est ce qu’on appelle aujourd’hui un « précaire » : condamné aux contrats courts, il enchaîne des missions d’homme de ménage au pays de Mickey, de manutentionnaire dans un célèbre magasin de meubles ou de « gestionnaire de flux » chez Pôle Emploi – ce dernier poste consistant à renvoyer chez eux les impudents chômeurs venus faire leurs réclamations en direct plutôt que sur Internet.
Armé des mots de Bourdieu, d’un bagout sans faille et de réflexes réfractaires aux ordres illégitimes, il opère de lucides coups de sonde dans les bas-fonds de l’exploitation moderne. Contrairement à Florence Aubenas ou à Günter Wallraff, journalistes s’étant glissés dans la peau de précaires, Belhocine est un précaire par nécessité économique, qui écrit ce qu’il vit pour consigner les cadences, les vexations et la pénibilité, mais aussi faire éclater le ridicule, jusque dans sa langue, d’une organisation sociale exigeant de ses « castmembers opérationnels et motivés » d’avoir le « sens du jeu ».
À l’issue d’une dizaine d’années d’inscriptions chaotiques à l’université, Mustapha Belhocine est titulaire depuis 2012 d’un master de sociologie à l’EHESS. Il livre ici, à 42 ans, la synthèse de la succession picaresque des emplois à plein temps qui ont accompagné sa formation d’apprenti sociologue. 

Aucun commentaire: