Agir par la parole
Porte-paroles et asymétries de l'espace public
Sous la direction de Philippe Juhem et Julie Sedel
P.U.Rennes
Res Publica
2016
Présentation de l'éditeur
Dans
les espaces politiques civilisés de nos États parlementaires, les
conflits politiques et les revendications ne prennent plus des formes
violentes mais passent par l’usage de discours politiques contrôlés au
sein d’un espace public institutionnalisé. Grève, mouvement social, opposition
d’un groupe à une réforme du gouvernement, construction d’un problème
public, demande d’une extension des prestations sociales : les occasions sont
nombreuses au cours desquelles les différents protagonistes du jeu politique
cherchent à convaincre les journalistes du bien-fondé de leur point de vue. Les
interventions de groupes nouveaux – les représentants des « banlieues », ceux
des victimes de l’explosion de AZF– s’entremêlent dans le récit journalistique
de l’actualité avec les déclarations des porte-paroles d’organisations syndicales
ou professionnelles plus institutionnalisés – CGT, MEDEF, Greenpeace,
etc. – pour dessiner une arène publique dans laquelle l’action du gouvernement
est discutée et réorientée continûment en fonction des rapports de force qui
y sont construits.
Aussi la tentation est forte pour les journalistes ou les analystes de considérer
que la qualité des porte-paroles joue un rôle décisif dans le résultat final des
interactions conflictuelles du jeu politique. Le talent d’Augustin Legrand ou
celui d’Harlem Désir n’est-il pas à l’origine de la capacité des mouvements
qu’ils représentaient d’obtenir la prise en compte des intérêts qu’ils défendent ?
Au contraire, l’incapacité des pilotes d’Air France de défendre leurs intérêts
lors de leur grève de 2014 n’a-t-elle pas pour cause les difficultés qu’ils ont
eu d’avoir un porte-parole constant, disponible, ajusté aux contraintes des
rédactions audiovisuelles et capable d’unifier aux yeux des journalistes les
interventions des syndicats de pilote ? En ce sens, les rapports de force induits
par les mouvements sociaux ne seraient plus véritablement matériels ou
directs – le blocage des trains lors d’une grève empêchant la circulation des
marchandises et des voyageurs et contraignant le gouvernement à négocier ; la
paralysie des grèves de Mai 68 ne pouvant être levée qu’à travers les négociations
de Grenelle – mais plutôt symbolique : l’important est que le mouvement
apparaisse aux journalistes justifié et acceptable, l’éditorialisation positive ou
négative des rédactions conduisant à la production de sondages susceptibles
de conforter le gouvernement ou de l’obliger à infléchir ses orientations.
Cependant, n’est-il pas excessif de faire de la parole des différents groupes et
de la qualité inégale de leurs interventions un facteur décisif de la définition
des priorités du gouvernement ?
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