« Je pense que les peuples ont pris conscience du fait qu’ils avaient des intérêts communs et qu’il y avait des intérêts planétaires qui sont liés à l’existence de la terre, des intérêts que l’on pourrait appeler cosmologiques, dans la mesure où ils concernent le monde dans son ensemble ».
Pierre Bourdieu (1992)


dimanche 25 octobre 2009

à paraître: Pierre Bourdieu - Roger Chartier, L’historien et le sociologue


L'historien et le sociologue
Parution : 17/02/2010
ISBN : 978-2-7489-0118-4
À paraître le 17/02/2010

Pierre Bourdieu - Roger Chartier
L’historien et le sociologue
Co-édition avec Raisons d’agir

En 1988, l’historien Roger Chartier reçoit le sociologue Pierre Bourdieu à France-Culture pour une série de cinq entretiens. Ce livre les reprend intégralement, avec une préface de Roger Chartier qui en restitue le contexte intellectuel et politique.
Dans un dialogue où se manifestent à la fois leur complicité et une claire conscience de leurs différences, le sociologue et l’historien confrontent les avancées et les problèmes de leurs deux disciplines, et leurs rôles respectifs dans la société. Ils analysent ensemble les illusions et les confusions répandues par les intellectuels-prophètes, qui font obstacle au rôle émancipateur de la sociologie et de l’histoire. Trente ans après, leurs propos n’ont pas pris une ride.
On trouvera notamment dans ces entretiens, sous une forme concise particulièrement claire et pédagogique :
— la présentation de certains concepts fondamentaux de la pensée de Bourdieu, notamment ceux d’« habitus » et de « champ » ;
— des réponses percutantes à des objections (aujourd’hui encore) récurrentes sur son (prétendu) déterminisme, sur les (fausses) oppositions entre subjectivisme et objectivisme ou entre individu et société, etc., et contre le procès qui lui est fait de vouloir substituer son discours savant à la parole des dominés.

Pierre Bourdieu (1930–2002) était sociologue et professeur au Collège de France. À partir des années 1960, ses livres (Les Héritiers, La Distinction, La Misère du monde, etc.) et ses interventions ont joué un rôle majeur dans la vie intellectuelle et politique en France. Aux éditions Agone : Interventions 1961–2001, Agone 2002, Bourdieu, savant et politique de Jacques Bouveresse, Agone 2004 et Introduction à une sociologie critique. Lire Pierre Bourdieu de Alain Accardo, Agone 2006.

Roger Chartier (né en 1945), historien et professeur au Collège de France, est un des fondateurs de l’histoire du livre et de la lecture (Les Origines culturelles de la Révolution française, Histoire de l’édition française, Inscrire et effacer, etc.). Il a longtemps animé Les Lundis de l’histoire sur France-Culture.
Roger Chartier : Il me semble que dans la perspective qui est la tienne et qui a cette capacité heuristique de faire penser dans d’autres domaines que le domaine de la sociologie, finalement le projet est tout autre : c’est de donner des outils permettant de démonter les mécanismes de domination qui fonctionnent sous les espèces de la division naturelle, normale, ancestrale. Il y a presque un projet là de reprise de possession de l’individu par lui-même ; ce qui, je crois, est assez contraire avec une image très stéréotypée de ce travail qui est pensé comme montrant des contraintes contre lesquelles on ne pourrait rien, broyant les individus et ne leur donnant aucune place.

Pierre Bourdieu : Si je voulais répondre en une phrase à ce que tu viens de dire, je dirais que nous naissons déterminés et nous avons une petite chance de finir libres. Nous naissons dans l’impensé et nous avons une toute petite chance de devenir des sujets. Et ce que je reproche à ceux qui invoquent à tout va la liberté, le sujet, la personne, etc., c’est d’enfermer les agents sociaux dans l’illusion de la liberté qui est une des voies à travers lesquelles s’exerce le déterminisme.

[…]

Pierre Bourdieu : Je vais employer une image plus noble, aux antipodes dans l’espace hiérarchisé de la culture, c’est Karl Kraus. Personne ne l’a lu en France, mais tout le monde sait qu’il faut dire que Karl Kraus c’est très bien. Donc je vais me servir de cet effet de légitimité (rire). Karl Kraus, c’est un intellectuel professionnel qui a passé sa vie à faire, au fond, l’inverse de ce que faisait Sartre. Il a passé sa vie à faire des happenings. Il faisait des choses magnifiques et si j’avais le temps je ferais ça. Il faisait des fausses pétitions sur la base des sentiments de bienséance sociale qui anime les intellectuels ; les bonnes causes. Par exemple aujourd’hui, ce serait la défense des homosexuels, contre le sida, etc. Il faisait une fausse pétition signée des noms les plus célèbres de l’époque et les gens n’osaient pas démentir. Après il révélait qu’il avait tout inventé, que les gens n’avaient pas signé. Cet homme a passé sa vie à faire, sur le mode coluchien, par des happenings théâtraux, des soirées bordéliques où il mettait en question tout cet univers de sophistes. Donc, il y a tout un travail possible pour faire diffuser cette sorte de défense pratique.

Roger Chartier : Oui, mais enfin, on va encore dire que tu cherches le bâton pour te faire battre...

Pierre Bourdieu : Il est évident que ça doit beaucoup à mon tempérament ; ce qu’on appelle le tempérament et que j’appellerai habitus. Bon, là j’ai présenté la forme exagérée pour prolonger la question, mais ce que je pense, c’est qu’il y a place pour un utopisme rationnel, c’est-à-dire qu’on a le droit à une part d’utopie dans les limites du possible. Et je crois qu’un bon usage de la sociologie comme instrument de transformation du monde social, ce serait de définir les limites de ce qu’on peut faire et d’aller aussi loin que possible au-delà de ces limites avec une toute petite chance de réussir.
http://atheles.org/agone/

Écoutez: en attendant la parution du livre, on peut écouter les entretiens avec ce lien http://lbsjs.free.fr/Bourdieu/bourdieu-docs.htm (voir en bas de la page)

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