La liquidation
Les Liens qui Libèrent
2014
Présentation de l'éditeur
Dans
La liquidation, Laurent Cordonnier déconstruit par la fiction la folie
de notre monde contemporain, ravagé par l’économie de marché, maintenu
en vie pour servir jusqu’à son dernier souffle les appétits de la
finance.
Du
temps a passé depuis le début de la grande crise écologique et le
reflux de la mondialisation. Le monde que nous avons connu depuis la
révolution industrielle a beau toucher à sa fin, l’économie de marché
n’en continue pas moins de faire des « progrès », sous la férule des
banques et des institutions financières qui ont accaparé tous les
pouvoirs, et qui cherchent dans les décombres de ce vieux monde (dont
elles précipitent tragiquement la fin) de quoi survivre et même
triompher encore. C’est le thème principal de ce roman d’anticipation
politique et économique: pendant la liquidation, l’économie de marché et
la finance aux abois continuent de travailler à leur propre
accomplissement. La « liquidation » en question est donc tout à la fois
celle de la société, en proie à un effondrement démographique
irréversible ; celle de l’économie, repliée sur elle-même suite au
reflux de la mondialisation, et tragiquement en manque de nouveaux
eldorados ; celle de la ville, dont le périmètre ordonné et viable se
rétrécit ; celle des actifs immobiliers, dont la valeur suit le déclin
de la population ; et celle des banques… qui mettent tout en œuvre pour
essayer d’en refouler la perspective inéluctable. Mais la
« liquidation », c’est aussi celle de Philippe Smithski, le personnage
principal de cette fiction, dont les affaires personnelles sont le
triste décalque de la marche du monde qu’il habite. Pris au piège d’une
procédure de redressement économique, au bord de la faillite
personnelle, à la fois maintenu en vie et mis la tête sous l’eau par sa
propre banque, Smithski – un héros à reculons, qui fait ce qu’il peut
pour se hisser à la hauteur de la situation – semble dériver
inexorablement vers la déchéance promise aux « Wibankacs »
(littéralement : Without bank accounts… ceux qui n’ont même plus de compte en banque).
Mais
c’est sans compter la résistance de quelques habitants des tours
Lumières, dans le quartier de Poor Venice, sans compter la sollicitude
et l’engagement de Laurène (la compagne de Smithski, et la très dévouée
présidente du syndicat des filles de joie), sans compter les complicités
au sein de l’appareil d’Etat, et au sein même de la banque, et sans
compter le hasard des rencontres… qui feront que la vie de Smithski
prendra soudainement les allures d’une épopée, laissant finalement
entrevoir une issue possible. Dans cet univers totalement désenchanté,
où tout semble se rétrécir, où la nature a totalement disparue
(survivant uniquement comme une attraction pour parcs à thèmes), où le
non-sens menace chaque action, où le passé subsiste uniquement sous
forme de reliques, où les enfants sont devenus indésirables, où la
froide logique comptable de la valorisation des actifs en temps réel et à
la fair value dicte sa loi aux organisations et aux êtres
vivants, où seules les banques semblent maîtriser la situation – l’Etat
et le gouvernement, complètement dépassés, en sont réduits à commenter
intelligemment le cours catastrophique des choses – … dans ce monde où
seule la rigueur implacable du calcul économique semble constituer un
point fixe, quelque chose finira par échapper. Le lecteur, qui sent
monter progressivement l’hypothèse d’une machination grandiose, dont
Smithski est manifestement la victime et l’instrument, et dont
l’insondable directeur des ressources humaines de la banque, Hassan von
Neumann, semble être le grand ordonnateur, découvrira tardivement qu’il
doit réexaminer sa théorie du complot, à laquelle son imagination l’aura
sans doute converti. Le complot n’est pas celui que l’on croit. Dans ce
roman, qui se plait à retrousser malicieusement les grands thèmes
orwelliens, pour les transposer à l’univers de la dictature
décentralisée des marchés et de la finance, et à la tyrannie de
l’autocontrôle disséminé (la soumission procède d’un assujettissement
volontaire aux règles de l’exposition narcissique dans l’espace public)
la fin prend à revers les sombres prophéties d’Orwell, et laisse
entre-ouverte la plausibilité d’un retournement.
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