Patrice Pinell
La Bonne Société et la cause de la petite enfance
Sociogenèse de la première loi française de protection de l'enfance (1874)
du Croquant
Champ social
2019
Présentation de l'éditeur
Les
années 1860 marquent une rupture avec l’approche fataliste de la mort
des enfants en bas âge qui prévalait dans la société jusque-là. La
création d’une Société Protectrice de l’Enfance, la parution d’écrits
médicaux et l’engagement d’un débat à l’Académie de médecine sont les
trois événements à partir desquels va se construire une représentation
faisant de la mortalité infantile un problème majeur menaçant une France
sur la voie de la dépopulation, minée par la crise des valeurs
familiales et les velléités d’émancipation de certaines femmes.
Au centre de cette représentation, les dysfonctionnements d’une
« industrie des nourrices », dont les activités pourtant ne cessent de
croître, parce qu’elle tire profit de l’irresponsabilité des nombreuses
mères refusant l’allaiter leur enfant. Parisienne au départ, la cause
des nourrissons gagne rapidement les Bonnes Sociétés provinciales. Le
mouvement philanthropique invente un dispositif de contrôle des
nourrices à domicile, intrusif, combinant surveillance médicale des
nourrices et patronage des enfants placés. Un dispositif que la loi
Roussel reprendra à son compte. Ainsi naît le prototype de ce que
seront, en France, les politiques menées dans le secteur social, avec un
État qui fixe le cadre légal, qui définit les orientations et dont
l’administration supervise et contrôle (du moins en théorie) des
interventions de terrain réalisées par des agents du secteur privé,
payés ou bénévoles.
Pour rendre compte de cette histoire, l’analyse
proposée dans ce livre s’intéresse aux rapports que la naissance de la
protection de l’enfance entretient avec des questions sociales majeures
qui traversent tout le dix-neuvième siècle. Car ce qui est en jeu dans
les débats qui ont cours dans le champ du pouvoir autour du sort des
nourrissons, ce sont les modalités d’exercice (souhaitables) de la
domination masculine dans une société de démocratie patriarcale,
l’expression (acceptable) que peuvent prendre les rapports de domination
de classe, la légitimité de l’État à intervenir dans la sphère privée,
que ce soit au niveau de la famille ou d’un marché économique, et cela
au nom de la protection de la santé physique et morale de l’enfant.
Toutes questions qui, même si les termes où elles se posent ont changé,
gardent, aujourd’hui encore, leur pleine actualité.
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