Lire les sciences Sociales: Sociologie du sport et de la danse
Présentation et discussion, en présence des auteurs, de:
Danser. Enquête dans les coulisses d'une vocation
(La Découverte, « Textes à l'appui, Enquête de terrain », 2010)
de Pierre-Emmanuel Sorignet
par Audrey Mariette
Si
les professions artistiques sont, d'une manière générale, soumises à la
précarité, celle-ci est encore plus prégnante dans le cas des danseurs.
En effet, pour ces derniers, la possibilité d'assurer des performances
tout au long de la vie active dépend avant tout de leur capacité
corporelle. Pourtant, de plus en plus de jeunes se présentent sur ce
marché du travail. Comment comprendre cet apparent paradoxe ? Pour
saisir les motivations qui conduisent des individus à choisir cette voie
et à s'y maintenir, il faut en fait tenir compte des rétributions
symboliques propres à ce métier associant « prestige » et « précarité ».
Le plaisir de la scène, la jubilation d'éprouver son corps, la relative
absence de routine expliquent que les danseurs vivent leur profession
comme une vocation, parfois façonnée dès l'enfance. L'auteur, sociologue
et danseur, s'est immergé dans l'univers de la danse contemporaine
pendant dix ans, partageant l'activité professionnelle des danseurs et
danseuses enquêtés, mais aussi tous les moments hors travail qui souvent
prolongent une façon d'être artiste. Ce livre, qui donne la part belle
aux témoignages, offre un éclairage inédit du métier de danseur et du
style de vie qui lui est lié (le choix du conjoint, l'orientation
sexuelle...). Le moment de l'audition, l'entraînement quotidien, le
travail de création, le rapport à la scène et au public sont ainsi
analysés « de l'intérieur ». Grâce à une approche très fine des
trajectoires des personnes enquêtées, cet ouvrage permet d'ouvrir la
boîte noire de la « vocation », d'en montrer les recompositions tout au
long des cycles professionnels traversés, jusqu'à la sortie du métier.
La construction du « talent ». Sociologie de la domination des coureurs marocains
(Raisons d'Agir, « Cours & Travaux », 2012)
de Manuel Schotté
par Pierre-Emmanuel Sorignet
Depuis
le milieu des années 1980, les coureurs kenyans, éthiopiens et
marocains opèrent une mainmise dans le domaine de la course de demi-fond
et de fond. Les succès de ces athlètes sont rapportés de façon
quasi-invariable à leur supposé talent inné : les sportifs les plus
talentueux sortiraient automatiquement du lot des pratiquants, en vertu
de leurs exceptionnelles qualités. La suprématie des coureurs d’Afrique
de l’Est et du Nord au niveau mondial est alors décrite comme le produit
d’une sélection naturelle. Plutôt que de naturaliser la performance
sportive, il s’agit dans cet ouvrage de rendre compte des logiques
sociales qui sous-tendent la réussite athlétique. La surreprésentation
des coureurs marocains parmi les champions du demi-fond repose sur une
double construction sociale : construction de l’offre de travail d’un
côté, avec le façonnement d’ambitions et de compétences dans le domaine
de la course à pied chez des jeunes Marocains ; construction de la
demande ensuite, avec l’émergence du professionnalisme en Europe au
début des années 1980. C’est à la seule condition de mettre en relation
les deux versants que l’on peut rendre compte de la répartition
socialement construite des populations telle qu'elle se donne à voir en
athlétisme. Même s’il est centré sur la fabrique du « talent »,
l’ouvrage peut être lu comme une ethnographie de la jeunesse urbaine
marocaine de milieux populaires et des conditions
d’émigration/immigration d’une partie d’entre elle. Organisé autour de
cas finement dépeints et replacés dans l’épaisseur de leur quotidien, il
donne à voir ce que sont les univers de vie et de sens de jeunes
marocains devenus coureurs. Mais, il renvoie aussi à la question de la
capacité des sciences sociales à comprendre le singulier et même le plus
singulier des singuliers quand il s’agit de l’athlète d’exception et de
l’homme hors norme.
Pierre-Emmanuel Sorignet
est sociologue, maître de conférences à l’université Toulouse-III et
chercheur au PRISSMH (Programme interdisciplinaire de recherche en
sciences du sport et du mouvement humain). Il collabore en tant
qu’interprète, depuis une dizaine d’années, avec différentes compagnies
de danse contemporaine.
Audrey Mariette
est maîtresse de conférences en science politique à l'université Paris 8
et chercheuse au Centre de recherches sociologiques et politiques de
Paris (CRESPPA), équipe Cultures et sociétés urbaines (CSU).
Manuel Schotté est enseignant chercheur à l’Université de Lille 2. Ses travaux portent sur la sociologie du sport. Il est l’auteur de Sportifs en danger. La condition des travailleurs sportifs (avec Sébastien Fleuriel), édition du Croquant, "Savoir/Agir", 2008."
3 février 2015
14 h 00 - 16 h 30
CNRS/Site Pouchet, Salle 108
59 - 61, rue Pouchet, 75017 Paris
métro ligne 13 - Guy Moquet | Brochant , Bus 66 - La Jonquière
(source: Lire les Sciences Sociales)
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