Frédéric Lordon
Vivre sans?
Institutions, police, travail, argent...
La Fabrique
2019
Présentation de l'éditeur
Conversation avec Félix Boggio Éwanjé-Épée
C’est peut-être le discours le plus dynamique dans l’imaginaire
contemporain de la gauche, mais ce qui fait son pouvoir d’attraction est
aussi ce qu’il a de plus problématique. Car il nous promet la « vie
sans » : sans institutions, sans État, sans police, sans travail, sans
argent – « ingouvernables ».
La fortune de ses énoncés recouvre parfois la profondeur de leurs
soubassements philosophiques. Auxquels on peut donner la consistance
d’une « antipolitique », entendue soit comme politique restreinte à des
intermittences (« devenirs », « repartages du sensible »), soit comme
politique réservée à des virtuoses (« sujets », « singularités
quelconques »). Soit enfin comme politique de « la destitution ».
Destituer, précisément, c’est ne pas réinstituer – mais le
pouvons-nous ? Ici, une vue spinoziste des institutions répond que la
puissance du collectif s’exerce nécessairement et que, par
« institution », il faut entendre tout effet de cette puissance. Donc
que le fait institutionnel est le mode d’être même du collectif. S’il en
est ainsi, chercher la formule de « la vie sans institutions » est une
impasse. En matière d’institution, la question pertinente n’est pas
« avec ou sans ? » – il y en aura. C’est celle de la forme à
leur donner. Assurément il y a des institutions que nous pouvons
détruire (le travail). D’autres que nous pouvons faire régresser
(l’argent). D’autres enfin que nous pouvons métamorphoser. Pour, non pas
« vivre sans », mais vivre différemment.
Frédéric Lordon est directeur de recherches au CNRS. Derniers ouvrages parus : Imperium. Structures et affects des corps collectif (La Fabrique, 2015), La condition anarchique (Seuil, 2018).
extrait
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