Savoir/agir n°28, Journalisme et dépolitisation
éditions du Croquant
Présentation de l'éditeur
Les transformations actuelles du champ journalistique (« crise » de la
presse écrite, recul des chaînes de télévision généralistes, poids
croissant d’Internet, etc.) focalisent les débats sur les évolutions des
médias, renvoyant au second plan les réflexions sur le rôle politique
des journalistes. C’est à cette question qu’est consacrée cette
livraison de Savoir/agir, en l’interrogeant sous l’angle de la
« dépolitisation »
L’autonomisation du champ journalistique par rapport
au champ politique
Si l’on définit la politisation comme « une requalification des activités sociales les plus diverses, requalification qui résulte d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou remettre en cause la différenciation des espaces d’activités », la dépolitisation du champ journalistique renvoie d’abord au mouvement historique d’autonomisation du champ journalistique par rapport au champ politique. Alors qu’une partie du champ journalistique français est née de la création de journaux dans les entreprises politiques au dix-neuvième siècle, cette situation est aujourd’hui marginale. Les transformations qu’a connues ce champ au cours des dernières décennies (mouvement de concentration économique ; spécialisation et concurrence croissantes des titres et des chaînes ; renforcement de son pôle commercial) ont en effet fortement affaibli son pôle politique.
Cette mutation s’observe notamment dans les métamorphoses du journalisme politique, qui se distancie de plus en plus du jeu politique, en adoptant une posture d’expertise critique (Nicolas Kaciaf). L’histoire du champ journalistique français n’a cependant rien d’universel ni de nécessaire. Si les contraintes économiques ont des effets dépolitisants jusque dans des sociétés qui, comme la Palestine (Benjamin Ferron), pourraient laisser penser qu’un journalisme très engagé y est dominant, la comparaison internationale interroge sur la dépolitisation du journalisme en France. Dans une configuration comparable comme l’Italie (Eugénie Saitta), le désengagement politique d’une partie du champ journalistique est bien moins marqué qu’en France. De plus, un très fort contrôle politique des médias, comme c’est le cas en Russie (Ivan Chupin), n’implique pas nécessairement une politisation des contenus.
Dans le contexte français d’une puissante dépolitisation de la presse, au sens où les entreprises de presse ne sont plus liées à des partis ou des hommes politiques, les relations entre le champ journalistique et le champ politique prennent les formes nouvelles d’une fuite en avant de la communication politique. Pour réussir à passer dans des médias qu’ils ne possèdent plus, les agents politiques accroissent les ressources (humaines, financières, expertes) accordées aux stratégies d’accès aux médias. Les activités politiques sont alors en partie transformées du fait qu’elles cherchent à se conformer aux formats médiatiques et à la vision déconflictualisée du monde social qui y est dominante (Jérémie Nollet).
La neutralisation médiatique
des problèmes sociaux
L’autonomisation du champ journalistique n’est pas sans effet sur les contenus produits par les journalistes, et, plus largement, sur la « dépolitisation » des problèmes sociaux, entendue comme (re)qualification d’enjeux anciennement (ou potentiellement) définis comme politiques en enjeux ne relevant plus (ou pas) de ce registre. C’est en l’occurrence une vision individualisée des questions de société qui domine les représentations journalistiques, comme le montre le cas des problèmes environnementaux dont les causes structurelles sont occultées (Jean-Baptiste Comby).
La production d’un cadrage dépolitisant (qui peut prendre des formes différentes : désidéologisation, déconflictualisation, naturalisation, focalisation sur les agents plutôt que sur les structures, personnalisation des institutions et des idées, absence de mise en perspective historique, recherche de responsables plutôt que d’explications plus structurales, etc.) s’explique moins par une intention explicite des journalistes que par leur mode de recrutement, leurs conditions de travail (précarisation d’une partie de la profession ; exigences de rentabilité des rédactions, etc. ) et leurs contraintes professionnelles (urgence exacerbée qui engendre une forte dépendance aux sources d’information officielles et une difficulté à mener des enquêtes autonomes dans la durée ; légitimation des sujets « vendeurs » tels que les faits divers ou le people…). Saisie par un champ journalistique en pleine transformation dans les années 1980-1990, la question des « banlieues » s’est ainsi trouvée dépolitisée (Julie Sedel).
Au total, en débouchant sur une faible différenciation des contenus journalistiques par rapport au discours de communication des agents et institutions dominants, les pratiques journalistiques, contribuent à la (re)production de l’idéologie dominante.
La question de l’intérêt des publics pour la politique
Les éléments qui précèdent, sur la production de grilles de lecture dépolitisées dans et par le champ journalistique, ne doivent pas susciter de conclusions hâtives quant à leurs effets. Il est hasardeux de prêter des effets politiques aux médias sans s’appuyer sur une étude empirique de leur réception par les différentes catégories de public. C’est pourquoi il convient de faire preuve de prudence quand on s’interroge sur les effets de politisation – entendue cette fois-ci comme l’« attention aux événements politiques » de la part des publics – des médias. Cette vigilance s’impose notamment dans les débats récents qui attribuent une force politisante à des émissions à faible contenu politique, telles que les émissions de divertissement (Leroux et Riutort).
L’autonomisation du champ journalistique par rapport
au champ politique
Si l’on définit la politisation comme « une requalification des activités sociales les plus diverses, requalification qui résulte d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou remettre en cause la différenciation des espaces d’activités », la dépolitisation du champ journalistique renvoie d’abord au mouvement historique d’autonomisation du champ journalistique par rapport au champ politique. Alors qu’une partie du champ journalistique français est née de la création de journaux dans les entreprises politiques au dix-neuvième siècle, cette situation est aujourd’hui marginale. Les transformations qu’a connues ce champ au cours des dernières décennies (mouvement de concentration économique ; spécialisation et concurrence croissantes des titres et des chaînes ; renforcement de son pôle commercial) ont en effet fortement affaibli son pôle politique.
Cette mutation s’observe notamment dans les métamorphoses du journalisme politique, qui se distancie de plus en plus du jeu politique, en adoptant une posture d’expertise critique (Nicolas Kaciaf). L’histoire du champ journalistique français n’a cependant rien d’universel ni de nécessaire. Si les contraintes économiques ont des effets dépolitisants jusque dans des sociétés qui, comme la Palestine (Benjamin Ferron), pourraient laisser penser qu’un journalisme très engagé y est dominant, la comparaison internationale interroge sur la dépolitisation du journalisme en France. Dans une configuration comparable comme l’Italie (Eugénie Saitta), le désengagement politique d’une partie du champ journalistique est bien moins marqué qu’en France. De plus, un très fort contrôle politique des médias, comme c’est le cas en Russie (Ivan Chupin), n’implique pas nécessairement une politisation des contenus.
Dans le contexte français d’une puissante dépolitisation de la presse, au sens où les entreprises de presse ne sont plus liées à des partis ou des hommes politiques, les relations entre le champ journalistique et le champ politique prennent les formes nouvelles d’une fuite en avant de la communication politique. Pour réussir à passer dans des médias qu’ils ne possèdent plus, les agents politiques accroissent les ressources (humaines, financières, expertes) accordées aux stratégies d’accès aux médias. Les activités politiques sont alors en partie transformées du fait qu’elles cherchent à se conformer aux formats médiatiques et à la vision déconflictualisée du monde social qui y est dominante (Jérémie Nollet).
La neutralisation médiatique
des problèmes sociaux
L’autonomisation du champ journalistique n’est pas sans effet sur les contenus produits par les journalistes, et, plus largement, sur la « dépolitisation » des problèmes sociaux, entendue comme (re)qualification d’enjeux anciennement (ou potentiellement) définis comme politiques en enjeux ne relevant plus (ou pas) de ce registre. C’est en l’occurrence une vision individualisée des questions de société qui domine les représentations journalistiques, comme le montre le cas des problèmes environnementaux dont les causes structurelles sont occultées (Jean-Baptiste Comby).
La production d’un cadrage dépolitisant (qui peut prendre des formes différentes : désidéologisation, déconflictualisation, naturalisation, focalisation sur les agents plutôt que sur les structures, personnalisation des institutions et des idées, absence de mise en perspective historique, recherche de responsables plutôt que d’explications plus structurales, etc.) s’explique moins par une intention explicite des journalistes que par leur mode de recrutement, leurs conditions de travail (précarisation d’une partie de la profession ; exigences de rentabilité des rédactions, etc. ) et leurs contraintes professionnelles (urgence exacerbée qui engendre une forte dépendance aux sources d’information officielles et une difficulté à mener des enquêtes autonomes dans la durée ; légitimation des sujets « vendeurs » tels que les faits divers ou le people…). Saisie par un champ journalistique en pleine transformation dans les années 1980-1990, la question des « banlieues » s’est ainsi trouvée dépolitisée (Julie Sedel).
Au total, en débouchant sur une faible différenciation des contenus journalistiques par rapport au discours de communication des agents et institutions dominants, les pratiques journalistiques, contribuent à la (re)production de l’idéologie dominante.
La question de l’intérêt des publics pour la politique
Les éléments qui précèdent, sur la production de grilles de lecture dépolitisées dans et par le champ journalistique, ne doivent pas susciter de conclusions hâtives quant à leurs effets. Il est hasardeux de prêter des effets politiques aux médias sans s’appuyer sur une étude empirique de leur réception par les différentes catégories de public. C’est pourquoi il convient de faire preuve de prudence quand on s’interroge sur les effets de politisation – entendue cette fois-ci comme l’« attention aux événements politiques » de la part des publics – des médias. Cette vigilance s’impose notamment dans les débats récents qui attribuent une force politisante à des émissions à faible contenu politique, telles que les émissions de divertissement (Leroux et Riutort).
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