Cem
Behar
L’ombre démesurée de Halley
Les recherches démographiques dans les Philosophical Transactions of the Royal Society
(1683-1800)
Ined
2012
Présentation de l'éditeur
Bien que l'Angleterre ait été le « berceau » de l'Arithmétique politique
et des savoirs sur la population, les travaux démographiques
britanniques ont fait l'objet de bien peu d'études, hormis celles
portant sur les « pères fondateurs » qu'étaient John Graunt, William
Petty et Edmund Halley, qui appartiennent cependant tous au XVIIe
siècle.
On peut néanmoins avancer, sans grand danger de se tromper,
que l'Angleterre est le pays européen où il y eut, dans le courant du
XVIIIe siècle, le plus grand nombre de recherches et de publications de
toutes sortes touchant de près ou de loin aux questions de population.
Bon nombre de celles-ci ont été publiées dans les Actes de la Royal
Society. Parmi les mémoires publiés dans les Philosophical Transactions
of the Royal Society, qui continuent d'ailleurs de paraître aujourd'hui
- et qui est donc la plus ancienne revue scientifique ayant existé - Cem
Behar a répertorié, pour la période allant de 1683 à 1800, pas moins de
soixante-huit mémoires sur des sujets ayant trait directement aux
problèmes démographiques. C'est là un nombre très supérieur à celui des
mémoires de démographie contenus dans l'Histoire de l'Académie Royale
des Sciences de Paris.
En termes de volume, il s'agit d'un corpus
d'un peu plus de mille pages de textes scientifiques sur des questions
relatives à la population. Ces mémoires sont répartis de façon assez
homogène tout au long du XVIIIe siècle. De plus, la Royal Society
britannique - organisation émanant de la société civile et non du
pouvoir royal - semble, du moins sur ces sujets, se trouver sur la même
longueur d'onde que l'opinion publique éclairée britannique.
Les
auteurs des Mémoires fournissent à leurs lecteurs, soit des relevés de
données sèchement présentées, soit des analyses qui, mises à part celles
de Price à la fin du siècle, utilisent des concepts et des techniques
déjà complètement élaborés.
De l'analyse fouillée que Cem Behar
effectue à partir de ce corpus de mémoires de démographie parus dans les
Philosophical Transactions, il émerge une vue d'ensemble bien
particulière de l'Arithmétique politique et des études de population, un
positionnement bien différent de celui qui prévalait alors sur le
continent, qu'il s'agisse de la France, de l'Allemagne ou même des
Pays-Bas. L'auteur montre bien que, plus axés sur le calcul des diverses
rentes, assurances et annuités, c'est le calcul financier et actuariel
que visent le plus souvent les auteurs d'outre-Manche au XVIIIe siècle,
plutôt que la science de la population.
Le titre de l'ouvrage fournit
l'essentiel de la thèse que son auteur expose et défend : les deux
Mémoires de 1693, dus à l'astronome Edmund Halley, portent en germe, non
seulement les éléments fondamentaux d'une future démographie, mais
encore les développements qu'ils connaîtront dans le cadre de la Royal
Society. Cem Behar va jusqu'à parler, à juste titre, d'un véritable
« programme de recherches » que livre le collègue de Newton à ses
contemporains et à ses successeurs, programme dont il est par ailleurs
montré qu'il ne sera guère dépassé mais simplement respecté.
L'auteur
démontre en effet que ces travaux britanniques, nombreux, sont surtout
caractérisés par leur caractère assez répétitif. Aucun auteur, après
Halley et comparé à un Süssmilch, à un Wargentin ou à un Deparcieux, ne
conquiert une stature européenne. Aucune avancée technique ne fait son
apparition dans le domaine britannique avant le début du XIXe siècle.
De
plus, les médecins et autres savants dont C. Behar nous déplie
l'éventail ne touchent de près qu'à la seule variable démographique de
la mortalité, les autres variables étant désespérément absentes de leurs
préoccupations. Le domaine le mieux couvert se trouve ainsi être celui
de l'assurance, pratique qui entame alors sa phase de création et
d'élaboration ; mais, là encore, l'aspect proprement calculatoire de la
prime et son principe figuraient dans les pages de Halley.
Ce volume,
qui se veut une présentation objective aussi bien de la pertinence que
des lacunes des travaux qu'il analyse, contribue, avec une efficacité
théorique et pédagogique qui ne se dément jamais au fil des pages, à la
connaissance des techniques démographiques et financières du XVIIIe
siècle, tout comme à l'histoire de l'encore jeune science de la
population à cette époque.
Comme l'écrit Cem Behar, « les auteurs
anglais au XVIIIe siècle demeurent coincés entre les "Bills" de Londres
et les chiffres de la ville de Breslau », c'est-à-dire dans l'ombre des
pères fondateurs que sont Graunt et Petty et dans celle, « démesurée »
suivant l'heureux qualificatif adopté par l'auteur, de Halley.