Europe : la dictature de l’austérité
éd. du Croquant
2013
Présentation de l'éditeur
Quelle
que soit la façon dont on l’exprime, l’Europe est de plus en plus
perçue comme une construction lointaine, hostile aux citoyens, source de
politiques néfastes pour les populations et, singulièrement, pour les
salariés.
Les réunions successives du Conseil européen sont présentées par les
médias comme autant d’échecs, laissant entendre que les chefs d’État
seraient incapables de trouver des solutions à la crise qui touche
l’Europe mais qui est aussi une crise de l’Europe. C’est en partie un
leurre visant à dissimuler le fait que les politiques d’austérité sont
imposées dans tous les pays membres de l’Union européenne. Après les
référendums en France et aux Pays-Bas et le rejet du projet de Traité
constitutionnel européen en 2005, la « législation » européenne est en
effet en train de changer à marches forcées sous l’effet de la crise.
Après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en décembre 2009, les
pactes et traités se sont multipliés, au prétexte de venir en aide aux
pays en difficulté et de tenter de « sauver » l’euro. En réalité, ces
dispositifs visent tous à contraindre les États membres à généraliser
les politiques d’austérité et, à travers elles, à casser définitivement
ce qui reste du modèle social européen, le droit du travail, les
services publics, etc.
Le plan de « sauvetage » de Chypre, adopté au forceps et au petit
jour le 25 mars 2013, va plus loin que les mesures imposées par la
Troïka (Banque centrale et Commission européennes, Fonds monétaire
international) jusqu’ici à d’autres pays de la périphérie Sud de l’Union
européenne ou à l’Irlande.
On peut certes se réjouir que la résistance dans l’île, marquée par le
vote unanime du Parlement, ait contraint la Troïka à renoncer à taxer
les petits déposants, comme il en était question dans la première
mouture du plan, particulièrement scandaleuse de ce point de vue. S’il
n’est pas question de se plaindre ici du fait que les plus gros clients
des banques chypriotes vont y laisser des plumes, on notera cependant
que sont épargnées les banques européennes, notamment allemandes, qui
ont pourtant et pendant des années tiré profit du paradis fiscal que
constituait Chypre. Et en fin de compte, comme c’est le cas en Grèce, au
Portugal ou en Irlande, ce sont finalement les Chypriotes qui vont
payer les conséquences de l’effondrement de l’économie qui sera la
conséquence immédiate de ce « sauvetage ».
Cet épisode a montré aussi l’ampleur de la dérive vers une gestion
autoritaire de l’Union européenne. Pour la première fois en effet, c’est
un organisme non élu, la Banque centrale européenne, qui a dicté
ouvertement les termes de l’accord, adressant au passage un véritable
ultimatum au Parlement élu de Chypre. Celui-ci, qui avait rejeté le plan
initial une semaine auparavant, n’aura même pas à se prononcer cette
fois, les lois nécessaires à la mise en œuvre du plan ayant déjà été
adoptées.
Même les ministres des Finances de la zone euro (le Conseil EcoFin),
qui constituent pourtant l’instance politique en principe compétente en
dernier ressort dans ce domaine, ont en réalité fait tapisserie toute la
nuit, en attendant les résultats d’une « négociation » avec le
président chypriote, à laquelle seuls le président du Conseil européen,
ceux de la Banque centrale et de la Commission européennes et Christine
Lagarde pour le Fonds monétaire international, ont participé
effectivement. Ce qui resserre encore le cercle de celles et ceux qui
prennent en réalité les décisions, sous la pression – le cas de Chypre
l’a montré de façon particulièrement éclatante – de la puissance
économique dominante en Europe. Le « couple franco-allemand » est en
l’occurrence tout à fait hors-circuit au bénéfice de la seule partie
allemande, avec le soutien actif des pays riches du Nord du continent.
Dans ce nouveau dossier sur l’Europe, nous avons cherché précisément à
faire le point sur cet « entêtement austéritaire », alors que tant de
voix, d’horizons très divers, se sont fait entendre ces derniers mois
pour mettre en garde contre l’impasse et même le risque qu’il présente
pour la zone euro et même pour l’Union européenne dans son ensemble.
En décrivant le « millefeuille de la gouvernance européenne », Louis
Weber présente le nouveau dispositif institutionnel qui, de
l’introduction du semestre européen à l’adoption du traité sur la
stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), en passant par le
Mécanisme européen de solidarité, vise concrètement à renforcer la mise
sous tutelle européenne (plus précisément de la Commission) des
gouvernements des États membres en matière de politique budgétaire. Dans
ce cadre strictement contraint, la décision économique échappe de plus
en plus aux instances élues pour revenir aux experts et à la
bureaucratie européenne.
Antoine Vauchez reprend dans son article la question de la prise de
décision et du pouvoir sous un autre angle en mettant à nu le
fonctionnement et le nouveau rôle de la Cour de Justice de l’Union
européenne (la Cour de Luxembourg). Pour lui, il n’est pas exagéré de
dire que le destin de la démocratie européenne se joue de plus en plus
dans ce prétoire. Ce qui, pour l’instant tout au moins, déroute en
partie la critique en France, où la tendance est plutôt à rechercher le
pouvoir dans les institutions « politiques ». Il montre à travers de
nombreux exemples qu’il n’est que temps de « chausser les lunettes de la
politique européenne » et prendre la mesure du pouvoir judiciaire qui
s’y est développé à mesure que déclinaient le projet et les ambitions
politiques au plan communautaire.
Dans un entretien réalisé pour ce dossier, Cédric Durand revient sur
les fondements mêmes de la construction européenne. Pour lui, il n’y a
pas de doute : le modèle qui s’est imposé de plus en plus est celui
théorisé il y a plusieurs décennies par l’ordolibéralisme allemand. Il
ne se confond pas avec celui des libéraux et de la croyance aux vertus
de la main invisible du marché. Pour que le marché puisse fonctionner et
l’équilibre être atteint, les États doivent mettre en place et
maintenir un cadre institutionnel et juridique contraignant permettant
aux mécanismes de marché de fonctionner. Comme il faut fixer des règles
du jeu à cette fin, ce rôle revient aux experts plutôt qu’aux
politiques. Ce que les textes récemment adoptés en Europe illustrent
parfaitement.
Pierre Khalfa montre que le mouvement de résistance à l’Europe
néolibérale que nous connaissons aujourd’hui a déjà une longue histoire.
Paradoxalement, il a connu un développement important dans un cadre
plus large avec l’émergence du mouvement altermondialiste. Mais le Forum
social européen, qui avait pour ambition de créer un mouvement social
européen, s’est progressivement enlisé dans des procédures et des
rencontres sans prise réelle sur les luttes dans les divers pays et au
niveau européen. Sous l’impulsion principale du mouvement syndical, avec
la participation de la Confédération européenne des syndicats qui a
fini par franchir le Rubicon en condamnant pour la première fois de son
histoire un traité européen avec le TSCG, un processus nouveau est en
cours à travers la Joint social conference. Le projet d’Altersummit
est une première initiative qui, avec le soutien de quelques forces
politiques, visent à dépasser le stade de la résistance pour élaborer
des propositions communes rassemblées dans un Mémorandum des peuples en
cours d’élaboration. Ce texte est repris dans ce dossier, au titre de la
documentation.
Sommaire
Éditorial
La droite française, l’Europe et l’ « effet phobie », par Frédéric Lebaron
Dossier
Europe : la dictature de l’austérité, coordonné par Frédéric Lebaron et Louis Weber
Un millefeuille pour la gouvernance économique, par Louis Weber
L’Union par le droit, par Antoine Vauchez
Un césarisme bureaucratique Entretien, avec Cédric Durand
Du Forum social européen à l’Altersummit, par Pierre Khalfa
Une Europe post-démocratique ?
Grand entretien avec Annie Collovald
Trois décennies de travaux sur les mobilisations politiques et sociales
Paroles
De Sciences Po aux prud’hommes
Chronique de la gauche de gauche
Front de gauche, par Louis Weber
Enquête (2)
Sociogenèse du « Front de Gauche ». Entretien avec Patrice Bessac
La rhétorique réactionnaire
Le PS est-il « de gauche » ? par Gérard Mauger
Alterindicateurs
Rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, suite… et fin ? par Frédéric Lebaron
Actualité
L’UMP, par Anne-Sophie Petitfils
Chronique écossaise
Nova Scotia ? par Keith Dixon
Culture
Le monde des choses matérielles, par Gérard Mauger
Robert Castel (1933–2013), par Gérard Mauger
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